Rabbin Raphaël Guedj (juif kabbaliste)
Mon regard sur la réalité de la violence à partir de mes convictions
Par rapport aux polythéismes ou aux diverses formes de panthéismes, on peut avoir le sentiment que les monothéismes, avec leur foi au Dieu unique, sont une source d’impérialisme et d’intolérance. Cela peut être vrai selon la manière de considérer et de défendre l’unité de Dieu. Il convient donc de se laisser interpeller sur ce que nous entendons lorsque nous parlons de l’unité de Dieu. Vous nous dites que Dieu est unique ou que Dieu est un? Considérons-nous cette affirmation de l’unicité de Dieu comme un fait, ce qui débouche sur une forme de «monolâtrie», ou comme une unité qui est en projet qui doit se construire afin de faire peu à peu l’harmonie au sein de la multiplicité ?
Par le récit de la Tour de Babel, nous découvrons que le désir d’uniformité représenté par les briques toutes semblables s’oppose à une vision d’une unité qui se construit avec des pierres toutes différentes, cette véritable unité étant une origine qui ne nie pas la diversité mais qui peut la féconder. C’est pourquoi la grande tentation des religions universelles, mais aussi des idéologies, consiste à prétendre rétablir une universalité perdue. L’idée de l’universalité perdue nous dit le récit de Babel, est le premier exode de l’humanité. Elles deviennent ainsi impérialistes et usent de différentes formes de violences pour atteindre leur but.
Le judaïsme n’ayant pas de visée universaliste est peut être moins soumis à cette tentation, mais il risque de succomber à celle d’un faux messianisme qui sacralise la terre, qui oublie de faire la différence entre le «saint» et le «sacré». Le lieu saint est un espace qu’on ne possède pas. La Terre promise doit rester une promesse et ne pas être accaparée.
Pour se sortir des tentations de l’impérialisme et de la violence, il est indispensable de redéfinir à la fois ce que nous comprenons dans les termes de «tolérance» et de «monothéisme. La tolérance peut en effet être comprise comme une manière de considérer que tout se vaut, et qu’en conséquence rien ne vaut! Il n’y aurait donc plus aucune valeur à transmettre. Le risque est donc grand de liquéfier les idéaux humains et de ne pas permettre d’adhérer à des convictions. Ce qui en définitive pourrait aussi être considéré comme une «violence douce».
La vraie tolérance devrait être comprise comme le respect de la subjectivité d’autrui dans la mesure où elle accepte de s’ouvrir à une perspective qui la dépasse. Ce qui permet donc une interpellation réciproque faite de reconnaissance et d’intérêt pour les convictions des autres. Au sein de la diversité et de la multiplicité du monde il nous faudrait être rendu capable de construire l’harmonie. Pour cela une meilleure compréhension du monothéisme devrait consister à nous inviter à chercher et à revenir à la source des valeurs permettant un vivre ensemble constructif dans le divin (amour justice charité). A ce moment l’unité n’est plus considérée comme un fait, mais comme un projet.
Dans cette compréhension du monothéisme, Dieu est au delà de tout concept, de toute représentation. On peut par contre parler de la trame de sa présence dans la relation qui s’élabore entre le divin et l’humain. Et là il y a du travail : faire que Dieu soit Un dans sa manifestation, en prenant en compte l’ensemble des valeurs, sans en absolutiser l’une au dépend des autres. L’absolutisation d’une valeur, c’est un universalisme qui conduit à l’impérialisme.». La simplification du monothéisme est forcément intolérante.
En étudiant des textes de la kabbale, on se rend compte que dans ce courant d’interprétation, le monothéisme ne vise pas à éradiquer le polythéisme, mais à créer de l’harmonie entre les différentes forces en présence. Non pas une unité qui écrase, mais une unité qui rassemble, qui unit en créant des liens. L’unicité divine qui nous effleure nous rend uniques et nous fait voir l’unicité de chaque être humain. C’est cette vision du monde qui nous permet de participer à la construction de l’unicité du genre humain. Ceci permet aussi d’apprendre à voir les différentes religions (monothéistes, polythéiste on panthéiste) d’abord comme des spiritualités et comme des sagesses. Toutes peuvent nous interpeller et nous aider à mettre en perspective, au cœur même de nos propres convictions, de notre propre foi, les valeurs fondamentales pour notre devenir humain et pour notre relation à l’univers. L’humanité qui détruit la planète porte atteinte au divin.
Notes prises par Maurice Gardiol