Edouard Dommen (quaker)
Mon regard sur la réalité de la violence à partir de mes convictions
En réponse au questionnaire qui avait été adressé sur la base d’un document préparé par le pasteur Jean-Claude Basset, voici les réponses qui nous ont été communiquée par Edouard Dommen suite à une réflexion au sein de sa communauté. Les questions de départ figurent en italique dans ce texte.
1. La violence n’est-elle pas inhérente à la vie en général et à la vie humaine en particulier ? La nature n’est-elle pas la première source de violence : la survie et l’évolution sont à ce prix : manger ou être mangé, attaquer ou se défendre.
Le détour par la violence de la nature nous écarte de la question qui concerne l’humanité en premier chef, la violence humaine. Il ne faut pas s’y résigner ; au contraire elle doit « excite[r] nos efforts pour réparer le monde. » (William Penn, l’un des fondateurs du mouvement quaker, 1682)
2. L’être humain n’éprouve-t-il pas une fragilité existentielle du fait qu’il ne maîtrise ni l’origine ni la destinée de sa vie ? Il est alors poussé à approcher le mystère de l’existence dans une relation de soumission reconnaissante, ou de peur et de tremblement, ou encore de rejet et de révolte.
Pour citer le fondateur d’une autre confession chrétienne, « Je ne puis autrement. Me voici, que Dieu me soit en aide. » (Martin Luther). Nous sommes ici, à nous de faire de notre mieux pour le bien de toute la création là où nous sommes.
3. Par nature, toute communauté, religieuse ou non, ne repose-t-elle pas sur une séparation entre un « nous » constitué autour d’un certain nombre de valeurs, de croyances et de pratiques et « les autres » différents, étrangers. Dès lors cette distinction peut facilement tourner en véritable opposition face à ces autres perçus comme des concurrents menaçants, voire des ennemis.
Les premiers quakers ont vite renoncé à la prétention d’être détenteurs privilégiés de la vérité. Au contraire, nous insistons qu’il faut toujours se souvenir que l’on peut se tromper. Il faut accueillir une lumière qui éclaire, d’où qu’elle vienne.
4. Le refus du compromis n’a-t-il pas eu pour conséquence soit une résistance non-violente radicale soit diverses formes d’extrémisme politique ou religieux, individuel ou communautaire ? Dans ces situations, l’absolutisation d’une doctrine et d’une pratique religieuse a souvent conduit à des dissidences et des conflits aussi bien intra- qu’inter-religieux.
Dans ces situations, l’absolutisation d’une doctrine et d’une pratique religieuse a souvent conduit à des dissidences et des conflits aussi bien intra- qu’interreligieux.
Sans doute, mais l’intérêt de la question se trouve ailleurs. Le compromis n’est que l’une des sortes d’issue concevables à un différend. Il vaut souvent mieux ratisser plus large à la recherche de solutions originales qui soient acceptables à toutes les parties.
Comme d’autres, les quakers de concert avec leurs adversaires ont souvent trouvé une bonne solution en cherchant dans des coins inexplorés. Les quakers cherchent à discerner ce qui dépasse les parties au différend, au-delà des intérêts des uns ou des autres : il s’agit d’une démarche spirituelle.
Quant aux dissidences internes, le mouvement quaker fonctionne en intégrant toutes ses propres divisions internes, allant aujourd’hui des athées (ou «non théistes») aux missionnaires évangéliques. La société religieuse quaker fait plutôt exception en cela.
5. Au cours des siècles bon nombre de traditions religieuses n’ont-elles pas cherché à assurer leur pérennité et leur expansion par des alliances passées avec des pouvoirs politiques. Inversement certains pouvoirs n’ont-ils voulu instrumentaliser les religions pour garantir leurs mainmises sur les peuples ? Des choix qui sont bien souvent la porte ouverte à des discriminations et des abus de pouvoir.
Des choix qui sont bien souvent la porte ouverte à des discriminations et des abus de pouvoir. Comme la 4, la 5 tient plus de la constatation que de la question. Les quakers cherchent à mettre à bon usage précisément leur manque de pouvoir. Dans leurs activités de médiation des conflits notamment, les quakers se présentent comme disposés à offrir leurs services, leurs bons offices, aux parties en conflit sans intérêt à défendre une solution particulière et surtout sans pouvoir d’imposer quoi que ce soit.
Ainsi, un médiateur quaker dans l’un des conflits sanglants africains du 20e siècle a commencé par jouer le facteur en transportant des lettres entre les belligérants. Ceux-ci ont pu constater que les lettres arrivaient sans être ouvertes en chemin et les réponses de même, et de fil en aiguille.
6. Dans le contexte de mondialisation socio-économique, la référence religieuse n’est-elle pas comprise comme une valeur refuge et une force de résistance ? Les traditions religieuses liées à une identité ethnique ou culturelle sont alors sollicitées pour légitimer un repli identitaire et un recours à la violence.
Les traditions religieuses liées à une identité ethnique ou culturelle sont alors sollicitées pour légitimer un repli identitaire et un recours à la violence.
C’est une description négative d’une situation qui peut être positive. Les migrants, surtout s’ils et elles sont isolés ou sans papiers, peuvent se sentir rassuré lorsqu’ils et elles se retrouvent en compagnie d’autres de la même culture, et tant mieux si c’est dans un contexte religieux qui peut encore rassurer. Il suffit de poser la question aux membres de certaines communautés de la Plateforme interreligieuse, ou dans un cadre spécifiquement protestant aux membres de Témoigner ensemble à Genève (TEAG). Le groupe quaker de Genève est membre des deux.
La religion se doit d’être source ou fondement de résistance. Elle se doit d’être prophétique : selon un dicton quaker, il faut dire la vérité au pouvoir. La foi rappelle que la loi ne constitue pas la bonne pierre de touche pour décider de la conduite à tenir. Ni repli ni violence dans ces propos !
7. Malgré toutes ces questions, la violence religieuse est-elle une fatalité ? La plupart des traditions religieuses ne sont-elles pas porteuses fondamentalement d’un message de paix et de justice pour l’humanité ? Ouverture, dialogue, respect, collaboration, autocritique et médiation devraient constituer autant d’antidotes pour les fidèles de bonne volonté.
Non la violence religieuse n’est pas une fatalité. D’ailleurs la Société religieuse des Amis (nom formel des quakers) s’est fondée dans un contexte de guerres de religion précisément pour refuser cette violence, en e siècle et indépendamment en France au 18ème siècle.
La plupart des traditions religieuses ne sont-elles pas porteuse fondamentalement d’un message de paix et de justice pour l’humanité ? Plusieurs en tout cas, dont la nôtre. Ouverture, dialogue, respect, collaboration, autocritique et médiation devraient constituer autant d’antidotes pour les fidèles de bonne volonté. Les quakers partagent cette constatation.