E n mai 2018, le TemPL’Oz Arts a présenté une adaptation du livre de Simon Wiesenthal « Les Fleurs de Soleil ». Dans ce récit, l’auteur raconte une situation vécue par lui-même dans un camp de concentration lors de laquelle il s’est trouvé dans l’impossibilité de répondre à une demande de pardon.
À l’issue d’une des représentations, des membres de diverses religions ont participé à une table ronde pour partager leur compréhension du pardon. Vous trouverez sur cette page des articles et des liens préparés par des membres de notre Plateforme pour alimenter la réflexion.
Justice et pardon : le point de vue d’un aumônier de prison
Maïti Girtanner, jeune résistante arrêtée en 1943, s’est retrouvée durablement handicapée suite aux tortures infligées par un médecin de la gestapo. Après la fin de la guerre et une hospitalisation de plusieurs années, elle a délibérément choisi le pardon afin, comme elle l’affirme, de ne pas se laisser détruire elle-même par le ressentiment ou la volonté de vengeance. Au point qu’elle va prier pour son bourreau, dont elle ne savait pas ce qu’il était devenu, afin qu’il puisse d’une manière ou d’une autre recevoir ce pardon.
Cela se réalise quarante ans plus tard lorsque, un jour, cet homme prend contact avec elle. Rongé par la culpabilité et les remords toute sa vie, il souhaite rencontrer sa victime avant de mourir pour lui demander pardon. Cette rencontre n’a pas été facile, mais Maïti, portée par son espérance, a su l’accueillir malgré tout. Elle ne lui a pas caché les conséquences de ses actes tout en lui disant pourquoi sa confiance d’être elle-même pardonnée par son Dieu l’avait encouragée à lui accorder aussi ce pardon.
Ce témoignage illustre bien, a contrario, la parabole du serviteur impitoyable qui est incapable de remettre une dette à un débiteur qui lui doit quatre sous alors que lui-même s’est vu accordé par son maître une énorme remise (Évangile de Matthieu 18.21-35). C’est dans la mesure où l’on se considère soi-même comme pardonné, que nous pouvons transmettre ce pardon. En ce sens lorsque nous disons dans le Notre Père « Pardonne-nous nos offenses » (ou « remets-nous nos dettes ») ceci doit être entendu comme une affirmation d’un pardon déjà offert dont je souhaite me saisir afin que je puisse aussi le vivre dans mes relations avec les autres.
Dans le cadre de l’aumônerie des prisons, nous rencontrons le plus souvent des personnes ayant commis des actes ayant causé des torts et fait des victimes. Alors se pose la question du rapport entre justice et pardon. Dans un article à ce sujet, le théologien Olivier Abel rappelle les conditions du pardon dans un tel cas de figure, mais aussi la nécessité d’une justice qui le rende possible et l’autorise. Il n’y a pas la place ici pour commenter plus avant ces différentes conditions. Il suffit de rappeler qu’une telle démarche nécessite un accompagnement et un dialogue permettant la mise à jour et la mise en œuvre de ces conditions. C’est ce que nous tentons d’offrir par un soutien spirituel à celles et ceux qui souhaitent nous rencontrer à l’aumônerie. C’est aussi ce que veut offrir une justice restauratrice qui vise à mettre en lien des victimes et des auteurs d’un délit. Une telle démarche a été entreprise au niveau d’une nation à l’initiative du Révérend Desmond Tutu et de Nelson Mandela par la création de la Commission « Vérité et réconciliation ».
En parlant du travail de cette commission, le journaliste Gérard Courtois rappelle, pour sa part, que le pardon a deux présupposés. « Le premier est que le sujet n’est pas tout entier dans son acte. Sa capacité d’agir n’est pas épuisée par l’acte terrible qu’il a pu perpétrer. Le pardon ne porte pas sur l’acte, mais sur le sujet qu’il délie de ce qu’il a commis pour lui permettre de s’engager vers les autres possibles qu’il porte en lui. Le deuxième présupposé est qu’une zone d’ombre entoure tout acte humain. Jésus dans cette voie disait : « Pardonne leur, parce qu’ils ne savent pas ce qu’ils font ». Celui qui pardonne est celui qui a contrebalancé sa colère par une pensée de la finitude de tout sujet et il pardonne au nom de cette fragilité qui lui est commune avec son agresseur. »
Le pardon s’inscrit dans une relation, c’est un processus qui demande du temps et qui intègre une quête de vérité, de justice et de réconciliation avec l’autre, mais aussi avec soi-même. Il participe à la guérison de mémoires blessées et peut alors être un levier indispensable pour la reconstruction d’une vie.
Maurice Gardiol, membre individuel de la PFIR et président du Conseil de l’aumônerie œcuménique des prisons.
EN SAVOIR PLUS
Maïti Girtanner, « Même les bourreaux ont une âme », CLD Éditions, 2006. Des interviews de l’auteure sont disponibles sur Internet.
Desmond Tutu, « Il n’y a pas d’avenir sans pardon », Éditions Albin Michel, 2000.
Pardon ? : une perspective quaker
La vraie piété ne détourne pas les gens du monde, mais … les excite à l’effort de le réparer, disait William Penn, un des fondateurs du quakerisme, en 1682. Malheurs et méfaits arrivent. Si l’on veut réparer le monde, il faut déterminer leurs causes et agir en sorte qu’elles ne se reproduisent plus. Désigner un coupable ne répare rien. Les causes peuvent être le fait d’individus, mais elles sont souvent structurelles. Si le dénuement pousse au vol, pour réparer le monde, il faut s’attaquer au dénuement plutôt que de s’en prendre au voleur.
Des gens agissent mal lorsqu’ils qu’ils peinent à déceler les relations de cause à effet. C’est leur manque d’éducation qui est alors en cause ; il faut améliorer la qualité de l’éducation et l’étendre à plus de monde. Ce ne sont là que deux exemples parmi tant d’autres. Regarder dans le rétroviseur pour essayer de déterminer qui fut le fautif est une distraction.
Prenons un exemple précis. L’un des Dix Commandements de la Bible dit, selon de nombreuses traductions, « Tu ne voleras point », mais « Tu ne commettras pas de rapt » selon la Traduction œcuménique de la Bible (TOB). Une note correspondante de la TOB explique qu’il viserait toute aliénation de la liberté d’autrui. Priver quelqu’un des moyens qu’il lui faut constitue un tel rapt.
La première version en revanche conforte la vision bourgeoise de la propriété et désigne comme fautif celui qui s’approprie un bien dont une autre personne détient le titre de propriété. Selon la première version, il faut désigner fautive la personne qui se l’approprie, selon la seconde, il faut désigner celle qui ne l’a pas déjà communiqué à celle dont l’autonomie en dépend. Dans la perspective de la réparation du monde, ce débat est sans intérêt ; il faut de toute façon se focaliser sur comment répartir les biens de ce monde de façon que tou.te.s puissent vivre libres.
Le calcul des malfaiteurs
Des malfaiteurs froidement calculateurs existent évidemment. Ils choisissent les yeux ouverts de faire du tort à d’autres si cela est profitable à eux-mêmes. Leur calcul est du genre R=(G-SxP) : la rentabilité de l’opération R est égale à ce qu’elle rapporte G moins le coût d’une sanction éventuelle S multiplié par la probabilité d’être sanctionné P. La possibilité d’un pardon augmente R en diminuant P. Dans ce genre de cas, le pardon va à contresens puisqu’elle augmente la rentabilité de la catégorie de méfait en question.
La confiance
La confiance jette un éclairage particulier sur notre propos. Au fond, la confiance est une affaire de prévisibilité. On peut sans se contredire être confiant que telle personne va se planter. On fait confiance à quelqu’un en fonction de ce qu’on connaît de ses aptitudes et de ses tendances. À la lumière de l’expérience, nous pouvons affiner notre estimation de ses capacités et de ses limites. Voilà le sens du dicton que l’on attribue à Lénine, « faire confiance, c’est bien ; contrôler, c’est mieux ». Dans la perspective de la réparation du monde, la confiance déçue appelle une rectification des attentes. Il est imprudent de confier à quelqu’un une responsabilité qui le dépasse, mais pire encore, c’est accabler la personne que l’on charge de la sorte.
Entretenir la communauté
Que le pardon soit hors de propos n’enlève rien au fait essentiel que toute personne recèle une étincelle divine et il revient à chacun.e d’entre nous d’être à son écoute et d’y répondre. Nous devons sans exception traiter toute personne avec égard. C’est ainsi que l’on entretient la communauté humaine.
Édouard Dommen, groupe quaker de Genève (Société des Amis).
De l’importance du pardon en islam
Le pardon est l’une des clés du Paradis. En effet, avoir un bon cœur, penser du bien des autres, accepter les excuses, pardonner les erreurs, retenir sa colère et pardonner aux gens, sont les choses les plus importantes auxquelles l’islam exhorte les croyants dans les relations entre eux.
Et celui qui possède ces qualités est digne d’être parmi ceux qui ont la gloire et l’élévation car le Prophète (alayhi salat wa salam) a dit : « L’aumône ne diminue pas la richesse et Allah augmente la gloire du serviteur qui pardonne aux autres, et quiconque est modeste pour Allah, Allah l’élèvera. »
Donc, nous comprenons bien, grâce à ce hadith, que pardonner est une élévation et une gloire dans ce monde et dans l’au-delà. De plus, voici ce qu’Allah a promis à ceux qui pardonnent aux gens par Sa parole :
« Et concourez au pardon de votre Seigneur et à un Jardin (paradis) large comme les cieux et la terre, préparé pour les pieux, qui dépensent dans l’aisance et dans l’adversité, qui dominent leur rage et pardonnent à autrui car Allah aime les bienfaisants. »
Ceci requiert un niveau de foi assez haut pour pouvoir vaincre les désirs et les plaisirs de l’âme, même dans les cas où il nous est permis de prendre notre droit contre une personne qui nous a offensé ou opprimé. Il est donc primordial de travailler sa foi pour apprendre à pardonner.
Nous terminerons sur certaines des paroles d’Allah et le Messager Mohammed (paix et salut sur lui) :
Sourate 41, verset 34
« Défends-toi par ce qu’il y a de plus beau. Alors celui avec qui tu étais en inimitié deviendra comme s’il était un ami chaleureux. »
« …Et que les détenteurs de richesse et de bien-être parmi vous ne jurent de ne plus faire des dons aux proches, aux pauvres et à ceux qui émigrent dans le sentier d’Allah. Qu’ils pardonnent et absolvent. N’aimez-vous pas qu’Allah vous pardonne ? Et Allah est Clément et Miséricordieux ! »
Sourate An-nûr (24), verset 22
Le Messager (paix et salut sur lui) nous a indiqué le meilleur des comportements qui rend le jugement léger et facile et permet d’entrer au Paradis par la Miséricorde d’Allah : « Pardonne à celui qui a été injuste envers toi, donne à celui qui t’a privé et renoue avec celui qui a rompu avec toi. »
Plusieurs versets du Coran, comme ceux précités, nous enseignent donc que ceux qui pardonnent ont toujours une meilleure récompense. Pardonner est une qualité des plus importantes, c’est un travail sur soi, comme on aimerait que Dieu nous pardonne : si nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés, cela permet le renforcement des liens de l’Amour sacré entre nous et de donner un vrai reflet de notre religion, celle du pardon, de la miséricorde, de l’amour, de la justice et de la fraternité.
« Si un homme vient te voir pour se plaindre d’un autre homme, dis-lui : “Ô, mon frère ! Pardonne-lui car le pardon est plus proche de la piété”. S’il dit : “Mon cœur ne peut pas supporter le pardon, mais je prends mon droit comme Allah (Le Puissant et Le Haut) me l’a ordonné”. Dis-lui alors : “ Si tu peux prendre ton droit, prends-le. Sinon retourne à la porte du pardon, car c’est une porte large ; et celui qui pardonne et se réconcilie, Allah le récompensera. Et celui qui pardonne, dort sur son lit le soir, tandis que celui qui prend son droit, n’est pas tranquille ; et la magnanimité correspond à pardonner aux frères”. »
Nous, l’Association Dituria et ses membres, qui sommes confrontés à des temps de persécution, de tyrannie et de terreur, condamnons fermement les actions ou formes de terrorisme comme les récents attentats en Nouvelle Zélande et au Sri Lanka et partout dans le monde. Car ceci est notre foi et nous croyons que non seulement l’islam, mais aussi toutes les croyances et religions ne peuvent ni ne doivent encourager la violence au nom de Dieu.
Dieu est aimé, Dieu est paix. Puisse Allah nous guider dans le droit chemin.
Association culturelle des musulmans albanophones de Genève (Dituria).
Être indulgent vis-à-vis des autres : un autre point de vue musulman
Dieu dit dans le Coran : « La bonne action et la mauvaise ne sont pas égales. Repousse (le mal) par ce qui est meilleur ; et voilà que celui avec qui tu étais en conflit devient tel un ami chaleureux. » (Coran, 41, 34)
Le lien qui unit le musulman à son entourage est nourri par une volonté constante d’excuser l’autre, de se montrer indulgent et longanime. Il se caractérise par une disposition sincère à pardonner, à ignorer les fautes commises et à maîtriser son ego.
Cela, c’est le signe d’une piété réelle et d’une foi authentique. C’est le fait d’une âme grande et forte, qui s’en remet à sa foi, et qui s’élève au-delà des rancunes et des mauvais sentiments. C’est par cette vérité que l’islam a complètement transformé la conception que les Arabes avaient de la force et de l’adversité. Ils pensaient avant cela que la puissance résidait dans la capacité de se venger et de dominer l’autre. C’est pourquoi le Messager de Dieu (Dieu lui accorde bénédiction et paix) demanda à ses Compagnons : « Qui considérez-vous comme l’homme fort parmi vous (assura‘a : l’homme fort et courageux) ? » Ils répondirent : « Celui que les hommes ne parviennent pas à terrasser ! » Il reprit (000) : « Non, mais c’est celui qui se maîtrise quand il est en colère. » (Muslim)
Cet homme, c’est donc celui dont la foi a mûri, qui a dominé ses passions et qui a maîtrisé son comportement et ses instincts. Remarquons que si les sentiments naturels de chaque individu le conduisent à réclamer vengeance, à vaincre son adversaire et à rendre le mal pour le mal, cela constitue un droit que l’islam reconnaît à l’être humain, en lui imposant une restriction qui consiste à ne pas dépasser certaines limites. Comme cela est très clairement énoncé dans le Coran. Dieu dit – Exalté soit-Il – : « Quiconque transgresse contre vous, transgressez contre lui comme il a transgressé contre vous. » (Coran, 2, 194)
Décrivant les qualités des croyants, Dieu dit également : « Et ceux qui, atteints par une agression injustifiée, ripostent pour obtenir gain de cause. » (Coran, 42, 39) Toutefois, après avoir mis en évidence ce droit, l’islam appelle avec véhémence l’homme à s’élever à un degré plus grand et plus noble que celui-là. Un degré auquel il parvient par sa foi et sa piété, et par lequel il recevra de Dieu la récompense la plus immense. Dieu dit ainsi : « La sanction d’une mauvaise action est une mauvaise action (une peine) identique. Mais quiconque pardonne et rétablit le bien, son salaire incombe à Dieu. Il n’aime certes pas les injustes ! » (Coran, 42, 40)
Cela conduit le musulman à préférer la récompense divine à la possibilité de guérir sa rancune et de répondre à l’appel du mal. Il pardonne donc et ferme les yeux, espérant que Dieu le récompensera largement, car son Créateur Miséricordieux lui a garanti qu’Il lui donnerait satisfaction. C’est à cela même que fait allusion l’expression coranique : « son salaire incombe à Dieu. » (Coran, 42, 40)
Tout comme le Messager de Dieu (Dieu lui accorde bénédiction et paix) a dit : « Lorsque viendra le Jour de la résurrection, quelqu’un appellera : « Que se lève celui dont le salaire incombe à Dieu, et qu’il entre au Paradis : ceux qui pardonnaient aux hommes. » (At-Tabarânî, avec une bonne chaîne de transmission)
Le musulman sait que la longanimité et le pardon sont des vertus qui occupent un très haut degré dans l’accomplissement de la foi. Ce ne sont en aucun cas des signes de faiblesse et de lâcheté. Mais bien plutôt les indices clairs d’une certitude qui habite la conscience des vrais croyants : c’est Dieu Seul qui récompense, et Sa récompense vaut mieux, pour chacun d’entre nous, que le fait d’assouvir sa soif de vengeance.
Pardonner entre dans l’éducation du croyant. Par cet exercice, il parvient à purifier son cœur de toute forme de rancœur et de noirceur. Sa foi et sa certitude s’en trouvent renforcées, et il s’élève auprès de Dieu dans les degrés du Paradis. Le Messager de Dieu (Dieu lui accorde bénédiction et paix) a dit : « Vous indiquerais-je ce par quoi Dieu édifie ce que vous bâtissez, et vous élève en degrés ? » (Les Compagnons) dirent : « Oui, ô Messager de Dieu ! » Le Prophète (Dieu lui accorde bénédiction et paix) dit : « Tu seras longanime avec celui qui se comporte sottement contre toi. Tu pardonneras à celui qui s’est montré injuste envers toi. Tu donneras à celui qui ne t’a pas donné. Tu noueras ton lien de parenté avec celui qui l’a rompu. » (At-Tabarânî)
Tels sont les enseignements qui permettent à notre humanité de s’élever au plus haut degré qu’il soit donné à l’homme d’atteindre. Il éduque ainsi son âme et la purifie de tout esprit de vengeance.
Nous demandons à Dieu qu’Il renforce nos liens de fraternité par l’indulgence et le pardon. Allâhumma âmîn !
Hani Ramadan, Centre islamique de Genève.
LIRE AUSSI
Blog du pasteur Daniel Neeser, « Lorsqu’on tue votre enfant, est-ce que vous avez envie ou la force de pardonner ? », Tribune de Genève, mars 2018.
Centre culturel chrétien de Montréal, le pardon selon les trois religions monothéistes.
Matthieu Ricard, le pardon (perspective bouddhique).
Un chemin pour renaître, le pardon, Éditions Ouverture, 2001 (plaquette).